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Pricing : Une technicité rigoureuse au service d’une réflexion stratégique solide

Interview de Michaël Bendavid & Ariane Griesbeck dans Market Research News

Interview issue du dossier « Comment bien définir ses prix (volet 1) » (Avril 2015) de Market Research News. Reproduite avec l’autorisation de Market Research News. © Market Research News.


Faut-il délaisser les techniques d’études au motif qu’elles soient déjà relativement anciennes ? Assurément non nous disent Michael Bendavid et Ariane Griesbeck (Strategic Research), aux yeux de qui le trade off en particulier est susceptible d’apporter des éclairages extrêmement intéressants sur les enjeux de pricing, à la double condition, néanmoins, de mettre en œuvre ces outils avec la plus grande rigueur et de ne pas déconnecter leur usage d’une solide réflexion stratégique.

MRNews : Selon vous, pourquoi une variable aussi sensible que celle du Prix ne fait pas l’objet de plus d’études de la part des entreprises ?

Michael Bendavid – Ariane Griesbeck : Cela tient probablement à plusieurs facteurs. D’abord, il y a un scepticisme dans l’esprit des décideurs marketing quant à la fiabilité des études portant sur cet élément du mix. Ce doute, qui n’est pas sans fondement quand on voit le caractère expéditif de certaines réponses apportées, va de pair avec une relative méconnaissance des techniques et de ce qu’elles peuvent apporter. Mais il faut aussi tenir compte de facteurs que l’on pourrait qualifier de « culturels ». Dans les entreprises, les prix sont le plus souvent fixés en fonction des coûts (c’est l’approche « cost + »), des objectifs de marge, mais aussi en fonction de l’environnement concurrentiel. Ils sont donc le résultat d’habitudes, de façons de faire qu’il est parfois délicat de remettre en cause. Un autre élément, plus psychologique, tient à l’impact potentiellement destructeur d’une « mauvaise décision » sur le prix, ce qui invite en retour à une certaine prudence quand il faut toucher à ce curseur. Enfin, n’oublions pas que le principe consistant à déterminer un prix en fonction de ce que les consommateurs sont prêts à dépenser – la culture de la « customer centricity » – est, somme toute, une idée assez neuve.

Le principe de ce dossier est de procéder à une sorte d’inventaire des techniques ou des approches les plus pertinentes. Mais aussi de revenir sur les techniques les plus utilisées. Parmi celles-ci, figure en bonne place l’approche dite du PSM connue aussi sous le nom de prix psychologique ou encore Van Westendorp. Quelle est votre appréciation quant à la validité de cette approche ?

Pour le formuler de manière un peu abrupte, on pourrait dire que le PSM est la solution la plus facile quand on dispose d’un budget limité, ou bien qu’on souhaite avoir une réassurance sur la zone de prix envisagée…

L’usage de cette technique est-il donc à proscrire ?

Non, nous n’irons pas jusqu’à dire cela. C’est une méthode qui peut être utilisée à faible coût et très facilement puisqu’il suffit simplement d’intégrer dans un questionnaire deux ou quatre questions, selon les variantes, pour la mettre en œuvre. Elle permet d’obtenir des ordres de grandeur fiables, en particulier dans des contextes de marché où les consommateurs connaissent bien les référentiels de prix. A contrario, elle produit de moins bons résultats sur les marchés où les cycles d’achat sont relativement longs ou quand elle est appliquée à des innovations qui ne s’inscrivent pas dans une catégorie spécifique. Cela reste quand même une technique un peu fruste comparativement à l’analyse conjointe. Elle fournit une zone de prix optimale sur le produit ou le service mais ne prend pas vraiment en compte l’environnement concurrentiel.

L’analyse conjointe – le trade off – est l’approche « reine » selon vous ?

Nous sommes en effet des partisans – et des pratiquants – assez inconditionnels de cette approche. La « philosophie » qui sous-tend l’analyse conjointe nous semble en elle-même extrêmement pertinente. L’idée est que dans un processus de choix,  le consommateur opère des arbitrages : il met en balance les différentes caractéristiques de l’offre et choisit celle qui « maximise son utilité ». De fait, avec cette approche, l’importance que le consommateur attache au prix est déduite, par le calcul, des différents choix observés dans des situations concrètes. On ne se fonde pas sur ses déclarations quant au prix en tant que tel, mais sur sa logique de choix. La méthode ne fournit pas seulement les niveaux d’utilités attachés à chaque caractéristique de l’offre : elle met sur la table d’autres livrables précieux qui enrichissent considérablement la compréhension de la problématique posée

À quels autres outputs pensez-vous plus précisément ?

Nous pensons en particulier à sa capacité à dégager des segmentations redoutablement efficaces, puisque fondées non pas sur des éléments d’attitudes parfois un peu vagues mais sur des variables « dures », à savoir les utilités attachées aux critères de choix des consommateurs. Par ailleurs, l’analyse conjointe permet de produire une modélisation du marché, en donnant une vision parfaitement cohérente de la performance comparée de différentes politiques marketing, qu’il s’agisse du prix ou des autres éléments du mix. Cela constitue un éclairage précieux pour la décision marketing, dès lors que l’on prend certaines précautions comme celle consistant par exemple à bien calibrer le modèle sur la réalité du marché. On a alors dans les mains un outil de simulation qui permet de penser la stratégie en termes de scénarios et de se préparer à d’éventuelles réactions des concurrents.

La perception dominante est que l’analyse conjointe reste néanmoins complexe à mettre en place. Est-ce une idée reçue ?

Ce type de méthode existe depuis longtemps, mais la recherche continue d’avancer, sous l’impulsion d’acteurs comme la société Sawtooth qui propose des options techniques intéressantes, à la fois puissantes et très faciles à mettre en œuvre. Les difficultés classiquement posées par la gestion des plans d’expérience ont été considérablement aplanies. Il existe aujourd’hui des modèles permettant d’intégrer un certain nombre de « pré-choix » de la part du consommateur interviewé, et ainsi de personnaliser l’interrogation en se focalisant sur les offres qui font réellement sens pour lui. Par ailleurs, on sous-estime souvent la souplesse de ce type d’outil, qui peut s’utiliser pas simplement sur des problématiques de prix mais plus généralement sur tous les sujets impliquant des arbitrages.

Quelles sont les erreurs, les pièges à éviter en utilisant ces techniques d’analyse conjointe ?

Il est clair qu’il y a une limite quant à la nature des variables marketing qui peuvent être intégrées. Cette approche donne sa pleine puissance quand on travaille sur des variables objectives, moins quand les variables sont plus « soft » ou émotionnelles. Mais le principal piège à éviter porte sur le nombre de variables et de leurs modalités. En théorie, les analyses conjointes peuvent prendre en compte un nombre élevé de variables et de modalités. En pratique, il est crucial de se concentrer sur un nombre limité de dimensions, celles qui ont un impact réputé fort sur le marché ou la catégorie étudiée.  Un travail déterminant pour l’efficacité de la démarche consiste donc à réaliser une sorte de screening en amont. 5 ou 6 variables, avec 4 à 6 modalités pour chacune d’elles nous semblent constituer un bon ordre de grandeur.

Ces outils et ces principes d’analyse font le postulat d’une parfaite rationalité des consommateurs. Est-ce que ce cela ne constitue pas une limite importante ?

Nous ne disons pas que les décisions des consommateurs sont rigoureusement rationnelles. C’est une évidence, nous sommes tous ainsi faits : nous n’effectuons jamais des choix en nous fondant exclusivement sur des considérations rationnelles. Et c’est tant mieux sans doute ! Mais le fait est qu’il y a une forme de paradoxe : dès lors que l’on observe des comportements collectifs, on observe une grande cohérence entre ce qui ressort du type d’études que nous avons évoquées et la réalité des comportements.  Notre postulat consiste donc plutôt à dire qu’il y a un réel intérêt à comprendre comment les individus rationnalisent leurs décisions et que la part d’irrationnel (ou l’erreur) est équitablement distribuée sur l’échantillon !

D’autres approches vous semblent intéressantes pour éclairer la politique de prix des entreprises ?

Nous utilisons d’autres approches, mais qui sont, elles de nature à donner des indications plus stratégiques, plus « macro », mais néanmoins précieuses selon nous pour appréhender le positionnement prix d’une marque et ses marges de manœuvre. C’est le cas en particulier d’un schéma d’analyse que nous utilisons régulièrement, celui de la Value Line. Le principe est extrêmement simple puisqu’il consiste à faire évaluer par les consommateurs un ensemble de marques présentes sur un marché donné, en fonction de 2 critères : d’une part l’image globale qu’ils ont de ces marques, et d’autre part leur perception spécifiquement sous l’angle du prix. On projetant les moyennes obtenues en abscisse et en ordonnées d’un graphique, on aboutit à une représentation mettant en évidence la marge de manœuvre dont dispose éventuellement la marque pour augmenter ses prix, à la fois par rapport à l’ensemble des autres marques présentes dans l’univers et aussi et surtout par rapport aux concurrents les plus directs.

Votre ligne philosophique est au fond celle d’une certaine orthodoxie quant aux techniques à utiliser…

C’est vrai. Sur un sujet comme celui du prix – mais cela s’applique sans doute à d’autres sujets – notre conviction est double. Nous sommes d’une part persuadés que des approches que l’on pourrait qualifier de « classiques » peuvent encore et toujours apporter des éclairages extrêmement pertinents et fiables pour les décideurs, à la condition de les mettre en œuvre avec la plus grande rigueur. Il convient aussi d’intégrer les développements les plus intéressants quant à ces approches, qui ne sont pas figées dans le marbre. Et par ailleurs, notre conviction est que l’usage de ces techniques ne doit pas être pas séparé d’une analyse stratégique globale. Les questions sur le prix n’appellent pas toujours une méthode sophistiquée : quand un client s’interroge sur la capacité de la marque à engager une stratégie de « premiumisation », la réponse doit être plus contextuelle et macro. D’autres techniques comme la Value Line ou le Canevas Stratégique dont nous sommes des adeptes (Cf. notre dossier ‘Ces études qui peuvent faire gagner beaucoup d’argent) sont plus appropriées. Avec ces outils, nous proposons de travailler avec des grilles d’analyse qui permettent de dé-zoomer un peu de la question du prix, ou plus exactement de mettre cette question en perspective d’une réflexion plus globale.


Interview issue du dossier « Comment bien définir ses prix (volet 1) » (Avril 2015) de Market Research News. Reproduite avec l’autorisation de Market Research News. © Market Research News.

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