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Ces études qui peuvent faire gagner beaucoup d’argent

Plus de réflexion stratégique pour plus d'efficacité

Interview issue du dossier “Ces études qui peuvent faire gagner beaucoup d’argent (volet 1)” (Février-Mars 2014) de Market Research News. Reproduite avec l’autorisation de Market Research News. © Market Research News.


Pour Michaël Bendavid (Strategic Research), la recherche de la plus grande efficacité possible est indissociable d’une interrogation par essence stratégique sur les grandes options et les allocations de ressources les plus pertinentes pour l’entreprise. Il nous fait partager ses convictions quant aux démarches les plus éclairantes pour adresser ces enjeux cruciaux que sont les questions de positionnement, de stratégie d’offre, et de gestion des budgets associés aux points de contact.

Market Research News : De votre point de vue, quelle est la short-list des démarches de recherche les plus susceptibles d’aider les entreprises à gagner en efficacité marketing ?

Michaël Bendavid : Trois approches me semblent vraiment indiquées dans une optique de rationalisation et de gain d’efficacité du marketing. Sans que cela corresponde nécessairement à une hiérarchie, je citerais d’abord le Canevas Stratégique, tel qu’il a été défini par Kim et Mauborgne (NDLR : les auteurs de Stratégie Océan Bleu). Je citerai également les outils d’analyse conjointe (ou trade off), qui me semblent sous utilisés aujourd’hui par rapport à leur potentiel. J’évoquerais enfin une démarche qui correspond à un enjeu croissant pour les entreprises, celle de la bonne allocation de ressources en fonction des points de contact (Touch Points)

Ces démarches font-elle l’objet d’une demande spontanée de la part des clients avec lesquels vous travaillez ?

La réponse est clairement oui pour le sujet des points de contact. A la fois parce que cela correspond à des enjeux économiques souvent considérables pour les entreprises, mais aussi parce que la digitalisation de notre économie a complexifié le sujet, les entreprises se retrouvant dans une situation où elles doivent arbitrer entre des options nouvelles. Je renvoie sur ce sujet à l’étude, menée en France et aux Etats-Unis, que nous venons de publier dans Enjeux Les Echos du mois de Février.

Pour les autres sujets, il n’y a pas nécessairement une demande spontanée, mais ils s’imposent assez naturellement dès lors que nos clients nous soumettent des problématiques d’optimisation en matière d’innovation, de positionnement ou de prix.

Commençons-donc par la notion de Canevas Stratégique. En quoi et comment cet outil permet-il au marketing de gagner fortement en efficacité ?

C’est un outil particulièrement simple et puissant. Pour saisir la portée de cette démarche, il faut rappeler le concept du « marketing compensatoire ». L’idée clé est que certaines offres, en réalité un assez grand nombre, sont présentes sur le marché sans offrir un réel point de différenciation. Cette faiblesse oblige les entreprises à dépenser beaucoup d’argent en publicité et en promotion, pour s’imposer « de force » sur un marché sceptique.  Ces ressources dilapidées en « push » pourraient être mieux investies, en particulier dans l’élaboration d’offres plus en affinité avec les attentes du marché, et présentant un réel avantage concurrentiel. C’est dans cette démarche que l’outil du Canevas Stratégique prend tout son intérêt.

En quoi consiste donc le Canevas Stratégique, et quel en est le mode d’emploi ?

Le Canevas Stratégique consiste en une représentation visuelle des forces et faiblesses d’une offre sur les éléments clés que sont les critères de décision des consommateurs sur le marché. On se place donc du point de vue du client. Sur l’axe horizontal (cf. exemple), on positionne ces critères pour un marché donné. Si l’on prend l’exemple du vin, avec le cas de Yellow Tale, la marque de vin la plus vendue au monde, on va trouver des éléments tels que le prestige associé au vignoble, la complexité du goût, la largeur de la gamme, l’usage de termes œnologiques, la publicité… Il y a souvent une discussion un peu difficile pour définir ces critères. Il n’est pas rare que la première liste comporte 25 ou 30 critères, alors qu’il faut la réduire à un maximum de 10 ; Les consommateurs fondent leur décision d’achat sur un nombre limité de critères. Sur l’axe vertical, on positionne le niveau de performance de l’offre ainsi que celui des acteurs intéressants du marché. Ce travail se fait « à dire d’expert », dans le cadre d’une réunion de travail impliquant les parties prenantes : responsables de la marque, du développement produit, les agences etc. La courbe ainsi tracée reflète le positionnement de l’offre sur son marché vs sa concurrence.

C’est à partir de cette représentation que l’entreprise va pouvoir définir les options lui permettant de se différencier des concurrents…

Absolument. Le constat que l’on fait en formalisant les choses ainsi, c’est que la distance entre les offres du marché est souvent limitée, du point de vue du consommateur. C’est la conséquence d’une « best practice » du marketing classique qui consiste à suivre de près ce que fait le concurrent.

Le Canevas invite précisément à quitter ce mode de pensée et à ouvrir une réflexion sur la différenciation. Le raisonnement est le suivant : y a-t-il des éléments clés du marché sur lesquels la marque peut réduire sa performance c’est-à-dire désinvestir ? Si la marque fait ce choix, quels sont, a contrario, les éléments sur lesquels elle souhaite investir plus pour augmenter la distance qui la sépare de sa concurrence. Enfin, peut-elle déplacer la frontière du marché actuel et introduire un nouveau critère de choix qu’elle pourra être la seule à revendiquer?

La démarche du Canevas Stratégique conduit à choisir ses batailles, et à repenser radicalement sa logique d’allocation de ressources. C’est toute la puissance de cette mécanique, qui permet de sortir du marketing compensatoire c’est-à-dire d’une situation où l’entreprise dépense beaucoup pour compenser la faiblesse d’une offre et la maintenir à flot, envers et contre tout.

Quelles marques vous semblent les plus remarquables en termes d’efficacité marketing ?

Ce n’est pas une question facile, mais il me semble que les travaux de Jean-Claude Larréché, professeur à L’insead et à la Wharton, apportent un éclairage très intéressant sur ce point. Lorsqu’on examine un large ensemble d’entreprises, on s’aperçoit que les plus performantes sont celles qui présentent le ratio dépenses marketing / ventes le plus bas. Ce n’est pas qu’elles dépensent moins en marketing, parce qu’en réalité leurs dépenses marketing nominales sont élevées. Mais simplement, elles vendent à un rythme plus soutenu qu’elles ne dépensent.

Larréché démontre que la performance de ces entreprises tient à la performance exceptionnelle des offres qu’elles mettent sur le marché. Ces entreprises sont efficaces parce qu’elles investissent sur de très bons produits ou services, ce qui leur permet d’afficher un excellent ROI. Apple ou Nespresso constituent des cas d’école en la matière. Le premier message est donc : si vous voulez un marketing efficace, n’investissez pas sur des produits moyens.

Il me semble que le principe des trade off s’inscrit dans la même philosophie : c’est une invitation à identifier pour un produit donné les combinaisons les plus pertinentes, et donc à allouer plus intelligemment les ressources de l’entreprise…

C’est vrai, même si ces approches sont de natures très différentes. Le Canevas Stratégique est à la fois un exercice de formalisation d’une position concurrentielle et un travail de convergence entre les parties prenantes, qui a l’avantage d’être très ouvert : on peut tracer autant de canevas qu’il y a de cibles concernées (les acheteurs, les prescripteurs, les intermédiaires etc.), et l’utiliser tout aussi bien dans le cadre d’une stratégie d’innovation que pour définir le positionnement de la marque. Et l’approche est bien sûr « qualitative ».

Le trade off correspond lui à une démarche d’étude quantitative, qui impose un cadre assez strict, à commencer par la sélection en amont des variables et modalités qui vont faire l’objet des arbitrages. C’est un exercice fermé qui ne permet pas l’introduction a posteriori de variables nouvelles. On joue avec les leviers actuels du marché que l’on décrit.

Le trade off est réputé être une démarche d’étude parfois risquée. Quelles précautions vous semblent importantes à respecter pour bien l’utiliser ?

Il est vrai que le trade off est un des outils les plus puissants en étude, que nous aimons utiliser ; mais il comporte des risques lorsqu’il n’est pas bien maîtrisé. Deux précautions sont essentielles.

Il faut d’une part (et à nouveau) veiller à travailler avec un nombre limité de critères, ne pas se perdre dans les possibilités « techniques » qu’autorisent ces méthodes. Les variables et modalités doivent faire sens pour les interviewés, être de nature fonctionnelles (prix, promotion, caractéristiques produits etc.) et être faciles à manipuler d’un point de vue cognitif. Il faut travailler avec les 4 ou 5 variables les plus sensibles, celles sur lesquelles se joue l’essentiel de la décision des consommateurs.

Il faut aussi accepter que le modèle ne reconstitue pas avec précision  le marché réel- dans les situations où on travaille sur un marché et pas sur l’optimisation d’une marque ou d’un produit isolé. La modélisation doit bien entendu reproduire le rapport de force entre les différents acteurs, c’est un indicateur de sa fiabilité, mais c’est la dynamique qui est déterminante et permet de comprendre les impacts de chacun des leviers.

Si l’on ramène cela dans la perspective d’économie et de meilleure productivité…

La phase de développement et de mise au  point des offres, entre la génération des idées et la mise sur le marché, concentre beaucoup d’efforts chez nos clients. Par nature, cette phase est assez chaotique, faite d’essais et d’erreurs. De notre expérience, le trade off permet d’optimiser ce parcours, en identifiant les leviers d’action prioritaires et les modalités qui maximisent la préférence. Le trade off ne remplace pas évidemment les études qualitatives clés ou de validation de marché, mais permet de réduire les options en phase de développement et de focaliser le travail des équipes marketing sur les éléments à plus fort impact sur la demande. Le gain de temps est souvent significatif et surtout les éléments de débat se déplacent sur les questions qui ont le plus d’enjeu. On évite ainsi des études sur des aspects secondaires de l’offre.

Sachant qu’au-delà de l’outil trade-off, il existe des démarches d’analyses intéressantes pour rationaliser les processus d’innovation, en intégrant en amont de la réflexion, c’est-à-dire avant de dépenser plus avant, des critères de taille de marché, de rapidité du « pay-back » ou de difficulté (technique) de développement. Ces méthodes aident à rationaliser l’effort de développement.

Reste le dernier axe de recherche que vous avez évoqué : celui de l’allocation des ressources en fonction des points de contact entre la marque et le marché qui est particulièrement sensible pour les entreprises. Quels sont vos parti-pris dans ce domaine ?

C’est effectivement un sujet sensible compte tenu des montants de dépenses en jeu pour les entreprises, et du fait qu’il s’agit d’un terrain complexe et évolutif. Faut-il privilégier la publicité et les grands médias et si oui lesquels ? La promotion sur le lieu de vente ? Les réseaux sociaux ? …Il est devenu difficile pour nos clients de définir les meilleurs arbitrages, en toute sécurité quant au retour sur investissement.

Sur ce sujet, nous utilisons un outil d’étude spécifique, le Touch Point Model.

Ce modèle intègre trois modules. Un premier module vise à déterminer la puissance de la marque en termes de notoriété, considération et achat. Un « sales funnel » si vous voulez. Le second module vise à déterminer les niveaux d’association des marques du marché aux points de contacts ou « touch points » activés par les différents acteurs. Enfin, on intègre un module de mesure du capital de marque.

Une des informations clés de cette approche est de comparer l’impact de la marque, tel qu’il est mesuré au travers de la trace laissée par la marque sur chacun des « touch points », aux investissements consentis par la marque sur chacun des « touch points »

Si je comprends bien, en mettant en parallèle les deux informations, j’obtiens une mesure de mon ROI par point de contact. La publicité TV pèse 35% de mes dépenses, mais elle ne contribue qu’à hauteur de 20% à l’empreinte laissée par ma marque…

Tout à fait. Mais ce que l’on cherche au final n’est pas une sélection mécanique des points de contact qui affichent le meilleur ROI. C’est là où les trois modules s’imbriquent pour délivrer une recommandation sur la meilleure stratégie d’investissement.

La « short list » des points de contacts retenus doit idéalement remplir plusieurs conditions. Ils  doivent aider la marque à résoudre les fragilités identifiées dans le « sales funnel » : la marque souffre-t-elle d’un défaut de notoriété ou a-t-elle des difficultés à créer de la fidélité ? On comprend bien que le choix des actions marketing n’est pas le même dans ces deux situations. Ensuite, les « touch points » retenus doivent aider la marque à déployer sa stratégie : toucher une cible stratégique précise, monter en gamme ou au contraire dominer le marché par les coûts etc. Et enfin, le ROI de ces points de contacts doit être acceptable.

L’étude fournit par ailleurs des informations précieuses sur la contribution des points de contacts à la décision d’achat. De fait, tous les points de contacts n’ont pas le même effet de levier, ni le même niveau d’encombrement.

Les décisions sont-elles pour autant évidentes, une fois que l’on a déployé ces outils et que l’on dispose de ces différentes natures de données, qui semblent pour le moins complètes ?

Non, je ne dirais pas cela. Pour ce qui est des points de contact par exemple, il reste un autre aspect important, qui est celui de définir les bonnes synergies, les combinatoires permettant de générer des dynamiques particulièrement intéressantes. C’est la raison pour laquelle nous recommandons impérativement un workshop de travail avec les équipes marketing pour discuter des résultats et trancher les arbitrages. Sans workshop, ces études ne délivrent pas la valeur attendue car, il faut le dire, il s’agit d’études difficiles, qui nécessitent un accompagnement et un dialogue avec les responsables de la marque.

Les différentes démarches analytiques que nous avons évoquées ne peuvent pas se substituer à la décision, avec la part d’intuition et de risque qu’elle suppose. Dit autrement la décision ne peut pas être « livrée » de l’extérieur. En revanche, et c’est une valeur ajoutée décisive, ces démarches apportent des éléments rationnels, factuels, sur la table. De ce point de vue, elles permettent de prendre à coup sûr de meilleures décisions.


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